Fatigue compassionnelle : quand aider les autres épuise les professionnels
- Jeanne Coiffard Psychologue

- 15 sept.
- 4 min de lecture

Fatigue compassionnelle et traumatisme vicariant : comprendre leurs symptômes, leurs causes et comment protéger les professionnels de l’aide
Introduction : quand l’aide devient lourde à porter
Aider, soigner, accompagner. Ces verbes paraissent nobles, et ils le sont. Pourtant, derrière l’engagement des professionnels et bénévoles de la relation d’aide se cache une réalité souvent passée sous silence : la fatigue compassionnelle.
Ce phénomène touche celles et ceux qui, par empathie, absorbent la souffrance des autres jusqu’à en être affectés eux-mêmes. On parle aussi de traumatisme vicariant, une usure psychique liée au contact répété avec des récits traumatiques.
Dans cet article, nous allons définir la fatigue compassionnelle, explorer ses manifestations, et comprendre pourquoi certains métiers — notamment ceux en lien avec les personnes migrantes — sont particulièrement concernés.
Fatigue compassionnelle : définition et symptômes
La fatigue compassionnelle désigne l’état d’épuisement émotionnel, physique et psychique que ressentent les aidants au contact prolongé de la souffrance d’autrui.
Symptômes fréquents :
sentiment d’impuissance ou d’inefficacité,
irritabilité, cynisme, perte de patience,
troubles du sommeil (insomnie, cauchemars),
hypervigilance, anxiété,
isolement social, perte de plaisir,
manifestations somatiques (maux de tête, douleurs diffuses).
Ces signes ne sont pas anodins : ils témoignent d’une surcharge affective qui peut évoluer vers un burn-out si elle n’est pas prise en compte.
Fatigue compassionnelle et traumatisme vicariant: quelle différence ?
Les deux notions sont proches mais complémentaires :
Fatigue compassionnelle : état d’usure émotionnelle dû au contact répété avec la souffrance d’autrui.
Traumatisme vicariant : transformation psychique plus profonde du professionnel, qui intègre par procuration une partie du traumatisme vécu par la personne accompagnée.
Autrement dit, la fatigue compassionnelle est un signal d’alerte, tandis que le traumatisme vicariant décrit des changements durables dans la vision du monde, souvent marqués par une perte de confiance et un sentiment de menace permanente.
Pourquoi les professionnels en lien avec les migrants sont particulièrement exposés ?
Les populations exilées ont souvent vécu des violences extrêmes : guerres, persécutions, tortures, violences sexuelles, séparations familiales. Accompagner ces personnes signifie entendre, jour après jour, des récits bouleversants.
Des facteurs aggravants identifiés par la recherche :
Récits de violence extrême : torture, naufrages, deuils.
Barrière de la langue : l’interprétation émotionnelle passe parfois par des traducteurs, qui absorbent eux aussi une partie du choc.
Cadre institutionnel précaire : contrats courts, manque de moyens, absence de supervision régulière.
Proximité affective : enseignants, bénévoles et éducateurs créent souvent des liens forts, parfois au risque d’un surinvestissement.
Ainsi, comme le souligne Valérie Skirka dans son étude sur les formateurs de français, les enseignants confrontés à des apprenants réfugiés peuvent vivre une véritable “contagion émotionnelle” : fascination, effroi, identification, jusqu’à des larmes en pleine classe.
Quels métiers sont concernés par la fatigue compassionnelle ?
La fatigue compassionnelle peut toucher tous ceux qui travaillent dans la relation d’aide :
psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux,
enseignants et formateurs en langue auprès de migrants,
bénévoles associatifs,
soignants (infirmiers, médecins, médiateurs de santé),
éducateurs spécialisés.
Partout où la souffrance est écoutée, il existe un risque de surcharge empathique.
Comment prévenir la fatigue compassionnelle et le traumatisme vicariant ?
1. Reconnaître les signaux d’alerte
Identifier tôt les symptômes de fatigue compassionnelle permet d’éviter le burn-out.
2. Favoriser la supervision et le soutien en équipe
Les recherches montrent que la supervision clinique, le travail en réseau et les espaces de parole protégés sont essentiels pour prévenir l’usure.
3. Redéfinir les limites professionnelles
Apprendre à dire non, poser un cadre clair, éviter le surinvestissement affectif.
4. Prendre soin de soi
Pratiques de régulation émotionnelle (respiration, sport, méditation), mais aussi maintien d’activités personnelles nourrissantes.
5. Valoriser la formation continue
Sensibiliser les professionnels à l’impact du trauma migratoire et du traumatisme vicariant aide à développer une posture consciente et protectrice
Conclusion
Si vous êtes psychologue, enseignant, éducateur, infirmier, bénévole, travailleur social… et que vous vous reconnaissez dans certains signes de la fatigue compassionnelle, sachez une chose : vous n’êtes pas seul·e.
Parler de votre vécu à vos collègues, chercher du soutien en supervision, mettre des mots sur vos émotions n’est pas un aveu de faiblesse — c’est une façon de prendre soin de vous pour continuer à prendre soin des autres.
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FAQ
Qu’est-ce que la fatigue compassionnelle ?
C’est un épuisement émotionnel et psychique lié à l’exposition répétée à la souffrance d’autrui.
Quelle différence entre fatigue compassionnelle et traumatisme vicariant ?
La fatigue compassionnelle est un état d’usure temporaire, tandis que le traumatisme vicariant décrit des changements psychiques plus profonds et durables.
Quels métiers sont exposés à la fatigue compassionnelle ?
Tous les métiers de la relation d’aide : psychologues, enseignants, bénévoles, soignants, travailleurs sociaux.
Comment prévenir la fatigue compassionnelle ?
Par la supervision, le soutien entre pairs, le respect des limites professionnelles et le soin de soi.
Sources
Stévenin, F. (2020). Les échos du trauma sur les professionnels qui accompagnent les mineurs étrangers isolés. VST, n°147.
Tarazi-Sahab, L., El Husseini, M., Moro, M.R. (2016). L’accueil de patients traumatisés : la langue maternelle, un levier thérapeutique médiatisant. Cliniques, 11(1), 72–88.
Skirka, V. (2024). Enseigner le français à des adultes migrants : l’impact de l’exil traumatique chez les formateurs. VST, n°162.
Saglio-Yatzimirsky, M.-C., & Wolmark, L. (2018). Santé mentale des exilés en France : entre impuissance et créativité. REMI, 34(2), 21–27.
CN2R (2024). Dossier Migrations et santé mentale.
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