Quand aider devient trop lourd : prévenir l’épuisement des professionnels de la relation d’aide
- Jeanne Coiffard Psychologue

- 31 juil.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 août

À force de prendre soin des autres, on en oublie parfois de prendre soin de soi. Pour les professionnels de la relation d'aide – médecins, infirmiers, psychologues, aides-soignants, travailleurs sociaux, aidants... – la vocation s'accompagne souvent d'une exposition chronique à la souffrance d'autrui. Si ce lien peut être porteur de sens, il peut aussi devenir source d'épuisement. Dans l'épisode 9 de mon podcast La psy, c'est pour les fous !, nous explorons les effets du trauma vicariant, de la fatigue de compassion, et les ressources nécessaires pour continuer à exercer sans se brûler les ailes.
1. Définir les enjeux : fatigue de compassion et trauma vicariant
Ces deux termes sont essentiels pour comprendre la détresse des soignants :
Le trauma vicariant désigne les symptômes traumatiques que peut développer un soignant exposé de façon répétée aux récits de traumatisme de ses patients, sans avoir lui-même vécu ces événements. Il peut se manifester par des cauchemars, une vision du monde altérée, ou des réactions de stress intenses face à certains stimuli.
La fatigue de compassion, quant à elle, est une forme d'épuisement émotionnel liée à un contact prolongé avec la souffrance des autres. Elle peut se traduire par une lassitude, une perte d'élan empathique, ou un sentiment d'inutilité.
Ces phénomènes sont détaillés dans les travaux de Pascale Brillon, psychologue et chercheuse, qui propose une lecture fine des processus à l'œuvre chez les aidants exposés au stress secondaire【14†source】.
2. Pourquoi les soignants sont-ils vulnérables ?
Contrairement à certaines idées reçues, les professionnels de la santé mentale ne sont pas immunisés contre la souffrance psychique. Plusieurs facteurs de vulnérabilité peuvent s'entrecroiser :
Une surcharge émotionnelle : recevoir chaque jour des récits bouleversants, soutenir des personnes en grande détresse, encaisser sans relâche.
Un investissement excessif : vouloir trop bien faire, se sentir responsable de l'évolution de chaque patient.
Une histoire personnelle chargée : certains aidants ont eux-mêmes connu des traumas ou des dynamiques familiales déstabilisantes (parentification, deuils non résolus...), ce qui peut les rendre plus sensibles aux résonances avec les patients.
Un cadre de travail peu soutenant : isolement professionnel, manque de supervision, réorganisation brutale ou absence de reconnaissance.
Une exposition constante à la laideur humaine : violence psychologique, physique ou sexuelle, trahison, misère sociale, cruauté ordinaire... Les soignants sont souvent en première ligne face à des manifestations de souffrance extrême ou de comportements inhumains. Cette exposition répétée peut atteindre la vision du monde, la confiance dans l'autre, et générer un profond désenchantement.
Pascale Brillon et Joanna Smith soulignent notamment le rôle des modèles internes opérants et du système d'attachement dans la manière dont les soignants font face à la souffrance d'autrui【14†source】.
3. Des pistes pour entretenir sa vitalité d'aidant
Heureusement, des solutions existent. Brillon plaide pour une prise de conscience des risques, mais surtout pour la mise en place de stratégies concrètes :
Entretenir sa posture professionnelle : rester en empathie sans tomber dans la sympathie, maintenir une juste distance, se former aux enjeux du transfert et du contre-transfert.
Prendre soin de soi : alimentation, sommeil, activité physique, loisirs, vie sociale... Ce qui semble évident ne l'est pas toujours dans les métiers où l'on pense souvent aux autres avant soi.
Exprimer ses émotions et chercher du soutien : supervision, intervision, psychothérapie personnelle si besoin.
Se reconnecter à ses ressources : sens du métier, anecdotes positives, gratitude des patients, soutien des collègues.
Se relier à la beauté et à la grandeur humaine : dans son livre et dans l'émission Sous le soleil de Platon, Pascale Brillon insiste sur l'importance de s'émerveiller encore, de se laisser toucher par la bienveillance, l'humour, la créativité, l'amour... autant de forces de vie qui rééquilibrent ce que l'on voit de plus sombre.
Un métier de cœur, mais pas sans risques
Les métiers du soin ont du sens. Ils nourrissent l'âme. Mais ils peuvent aussi l'user. Reconnaître la fatigue de compassion ou le trauma vicariant n'est pas un aveu de faiblesse, c'est une marque de lucidité. C'est se donner les moyens de durer dans ce métier magnifique, sans s'éteindre à petit feu.
🎧 À écouter : Épisode 9 – Prendre soin de soi : la résilience des psys
Je suis Jeanne Coiffard, psychologue et créatrice du podcast La psy, c'est pour les fous !
📚 Lire mon livre La Fleur au Fusil : Disponible ici
Sources :
Pascale Brillon & Joanna Smith, L'attachement en psychothérapie de l'adulte, chapitre 19, Dunod, 2023【14†source】.
Pascale Brillon, Entretenir ma vitalité d'aidant, Éditions de l'Homme, 2021.
France Inter, Sous le soleil de Platon, émission du 4 janvier 2024 : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sous-le-soleil-de-platon/sous-le-soleil-de-platon-du-jeudi-04-janvier-2024-3896505.
.png)








Commentaires