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Psychiatrie en France: une discipline en crise, un avenir à reconstruire

  • Photo du rédacteur: Jeanne Coiffard Psychologue
    Jeanne Coiffard Psychologue
  • 13 juin
  • 3 min de lecture



1. Aux origines de la psychiatrie française : entre soin, contrôle et marginalité


La psychiatrie moderne française trouve ses racines au tournant du XIXe siècle, dans la mise en place des premiers asiles d’aliénés sous l'impulsion de la loi du 30 juin 1838. Ces institutions visent à "traiter et contenir" les malades mentaux, à une époque où la folie est perçue comme un danger social. Ces structures relèvent davantage d’une logique de ségrégation que de soin, avec peu de considération pour les droits ou le confort des patients【1】


Après la Seconde Guerre mondiale, un mouvement de rupture émerge : la psychiatrie institutionnelle. Portée par François Tosquelles et Jean Oury, cette approche révolutionne le soin psychique. Elle propose de faire de l’institution elle-même un espace thérapeutique vivant et ouvert, où les patients deviennent co-acteurs de leur processus de soin. La clinique de La Borde devient l’emblème de cette vision humaniste et participative.


Les années 1960-1980 constituent l’âge d’or de la psychiatrie française, avec le développement des secteurs de psychiatrie et des structures de soin extrahospitalier (CMP, hôpitaux de jour...). Le modèle français repose alors sur une psychiatrie publique forte, à vocation humaniste et sociale.


Mais à partir des années 1990, un démantèlement progressif s’opère. Les politiques d’austérité, débutées sous le gouvernement Juppé, se poursuivent sous des majorités diverses. L’hôpital est soumis à la logique comptable de la T2A (tarification à l’activité). La psychiatrie, jugée peu "rentable", subit une attrition continue de ses moyens【2】.


2. Une crise multidimensionnelle


Aujourd’hui, la psychiatrie française est en état d’urgence structurelle. D’après le Dossier de presse Santé Mentale 2023 du Ministère de la Santé【3】 :

  • Plus de 60% des postes de psychiatres ne sont pas pourvus en pédopsychiatrie.

  • Le nombre de psychiatres a diminué de 9% entre 2012 et 2021.

  • Près de 25% des psychiatres en exercice ont plus de 65 ans.

  • Les fermertures de lits se poursuivent (+13 000 lits supprimés entre 1993 et 2019).


Malgré les annonces des Assises de la Psychiatrie (2021), le terrain reste marqué par des files d’attente interminables en CMP (jusqu’à 18 mois pour un rendez-vous), une pénurie de médicaments psychotropes, et une exclusion progressive des patients les plus précaires et chroniques.


Selon Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale, "la crise de l’attractivité est structurelle et systémique", appelant à repenser entièrement le fonctionnement des équipes, les modes de financement et la gouvernance des hôpitaux【4】.


3. Quelles conséquences pour les usagers ?


Les répercussions de cette crise sur les patients sont lourdes :

  • Délai moyen d’accès à un CMP : 7 à 12 mois, parfois davantage.

  • Refus de prise en charge dans certaines structures saturées.

  • Errance thérapeutique des patients entre soins somatiques, urgences psychiatriques, et structures non adaptées.

  • Ruptures de traitements en raison de la pénurie de certains psychotropes (valproate, lithium, etc.).

  • Développement de parcours "hors soin" : incarcération, rue, isolement.

Des "zones blanches psychiatriques" apparaissent même dans certaines régions rurales.


4. Et maintenant ? Une reconstruction à penser collectivement


Les annonces gouvernementales ne suffisent pas. Le rapport du collectif "Choisir la psychiatrie" (CNUP, 2024) plaide pour :

  • La revalorisation salariale et symbolique des psychiatres.

  • L’introduction d’un stage obligatoire en psychiatrie pour tous les internes.

  • La création de maisons de santé mentale pluridisciplinaires.

  • L’inclusion systématique des usagers dans les comités de pilotage locaux.

Mais plus encore, c’est la manière de penser la santé mentale qu’il faut réinterroger :

  • Sortir de l’évaluation chiffrée du soin.

  • Redonner du temps clinique.

  • Réhabiliter la parole, l’écoute, la créativité thérapeutique.

"Ce n’est pas de psychiatrie moderne que nous avons besoin, mais de psychiatrie humaine" écrivait Jean Oury.

Il est urgent de répondre à cet appel.


Références

[1] Bonnet, F. (2004). Les archives et l’histoire de la psychiatrie. Revue d’histoire de la protection sociale.

[2] Dossier de presse - Santé mentale et psychiatrie, 3 mars 2023, Ministère de la Santé.

[3] DP Santé Mentale, Ministère de la Santé, 2023.

[4] Santé Mentale, Janvier 2023, "Crise de l’attractivité en psychiatrie".

[5] Dossier CNUP - Choisir la psychiatrie, Janvier 2024.


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